Lima la lente ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la RATP
Partie 1 : Suis-je impatiente ou sont-ils lents ?
Il y a de ça quelques jours, j’ai commandé un américano au café de mon campus : doux breuvage qui me permettrait de survivre à ma matinée. Pour les non-initiés, un américano est à peu près ce qui se fait de plus simple comme pour un barista : une à deux doses d’espresso, de l’eau, point barre. C’est donc naturellement avec une frustration palpable et force pianotage impatients sur le comptoir que j’ai vu les cinq employés du café s’affairer collectivement pendant près de huit minutes pour me servir ma boisson (je précise qu’il n’y avait que deux personnes avant moi et que tout est servi à emporter). Constatant en direct la diminution de la productivité causée par un encombrement de la chaine de production, je m’apprêtais à leur proposer mes services à haute valeur ajoutée de consultante pour les aider à me servir mon café dans des délais plus raisonnables. Fort heureusement, ma rancœur ne fut que passagère et le mal oublié dès la première gorgée (garder la question de l’addiction pour un autre billet ?).
Cet épisode d’apparence anodine traduit cependant à mes yeux une réalité plus englobante que j’ai pu observer ici : le Pérou et la France ne vivent pas du tout sur le même rythme. Je tiens également à préciser que par la France, je n’entends pas que Paris (fâcheux s’abstenir).
Et oui. Ici, tout prend du temps.
Quand j’ai eu l’occasion d’en parler avec un des diplomates travaillant à l’ambassade de France à Lima, on m’a assommée d’un proverbe qu’on m’a dit être africain (d’autres sources le disent afghans, peu importe) : « Nous avons la montre, eux ils ont le temps ». Outre le caractère un peu niais du poncif qui paraissait être une version diluée du grand classique des voyages entre 20°N et 20°S « ils n’ont rien et pourtant ils ont le sourire » généralement servi avec un sourire béat, il me fallait cependant reconnaitre une composante culturelle à mon observation.
Les gens prennent le temps : le temps de déjeuner à table le midi en grands groupes (rares sont ceux qui mangent sur le pouce ou mangent des sandwichs), le temps de vous aider si vous rencontrez des difficultés dans l’espace public, le temps de discuter longtemps et à peu près n’importe quand pour peu que vous sachiez donner le change. Les péruviens prennent le temps de vous connaitre et j’ai eu l’occasion d’avoir quelques discussions spontanées dans la rue, sur mes lectures notamment. Cet aspect est particulièrement plaisant : dans l’espace public, l’autre n’est pas un obstacle ou une source complète d’indifférence. Le revers de la médaille est que « rapide » n’est pas un concept très familier du Pérou. Aller au supermarché n’est pas une tâche comme une autre, c’est une quête. Pour vous donner un ordre d’idée, il faut vous projeter dans une configuration où vous iriez faire vos courses dans un supermarchés remplis de sexagénaires loquaces avec des cadis pleins et des articles au code barre défaillant.
Je vous laisse imaginer que cela vaut dans d’autres domaines.
-les péruviens marchent lentement (moitié moins vite qu’un parisien normal, trois fois moins vite qu’un parisien dans les couloirs du métro, quatre fois moins vite qu’un couple scandinave avec des bâtons de marche).
-Les péruviens parlent plutôt lentement (caractéristique formidable partagée avec d’autres pays de la région andine).
Les péruviens le reconnaissent d’ailleurs et le déplorent dans le cas particulier de l’administratif (j’ai donc repoussé la confrontation aux services consulaires péruviens au moment où je serais dos au mur. NB : maman ou papa si vous me lisez, c’est partiellement une blague). Pour le reste, ceci n’est cependant pas véritablement source de frustration pour ceux avec qui j’ai eu l’occasion de m’en entretenir.
Ainsi, s’il y a indéniablement quelque chose de culturel à la lenteur limeña et plus largement péruvienne, notamment dans la grande tolérance au retard dont j’ai pu être témoin dans mes cours ou encore à la messe (on y rentre comme dans un moulin et personne ne s’en offusque), il y a pour moi une réalité matérielle liée à la ville qui sous-tend cela.
(à suivre…)